"Sons of Sissy" de Simon Mayer aux Brigittines


(Bruxelles, le 27 août 2018) - English below

Quatre hommes  entonnent a capella un chant polyphonique qui nous transporte immédiatement dans des volutes de frissons irrépressibles. On pense aux polyphonies corses, ou géorgiennes...quand on n'y connaît pas grand chose (et peu importe, c'est juste beau)... et ce même si on est sensés voyager en Europe centrale ce soir, avec la pièce Sons of Sissy, de Simon Mayer qui vise, son titre l'annonce en tous cas, à mettre en perspective la culture autrichienne des artistes.

Mais celle-ci ne tarde pas, de manière bien plus évidente cette fois, à surgir. Du moins ce que nous croyons en connaître, nous, spectateurs "internationaux" lorsque résonnent les premiers yodels et que, armés de leurs instruments (violons, accordéon et contrebasse) les quatre comparses nous prodiguent un de ces airs folkloriques bien trempés en tapant du pied avec conviction. Cette musique, à la chaleur bonhomme, fait plaisir, il n'y a aucun doute. En tous cas à nous, public d'ici et d'ailleurs pour qui elle n'évoque pas grand chose d'autre que les verts pâturages, les chapeaux de feutrine couleur sapin et les grandes chopes mousseuses tendues par des bras potelés. Un plaisir simple, celui du bol d'air de l'exotisme teinté des notes et des images de La mélodie du bonheur, nous parcourt et nous suffit pour passer un bon début de soirée.

Mais nous sommes à un spectacle de danse contemporaine. Ne l'oublions pas. Donc ça va probablement mal tourner. Qui plus est, on va devoir réfléchir. Et de fait. Les cordes des instruments en prennent pour leur grade. Nos oreilles aussi. Les rythmes frappés avec entrain s'affirment avec un peu trop de certitude et de régularité. On voit maintenant une marche militaire qui avance les bras tendus. Tiens. On se sent soudain plus concernés. L'exotisme a pris les couleurs internationales des dérives du nationalisme. Mais l'évocation morbide ne s'enlise pas. L'humour fouette les images de guerre et les musiciens-danseurs reviennent à leur exploration plus personnelle faite de souffrances et d'euphories, de leur propre culture.

A moins qu'il ne s'agisse de notre culture à tous? Car les voilà nus maintenant. Semblables à tous les êtres humains une fois qu'ils ont retiré leur costume. Certes ils continuent à rythmer leurs fesses et leurs flancs et à tourner et valser à la manière des danseurs folkloriques. Mais quel folklore? On tourne et on valse un peu partout dans le monde. Et ça nous ramène, en nous déculpabilisant, à notre première question: polyphonies corses, géorgiennes, autrichiennes?


A nouveau, peu importe. Car ce dont il est question ici finalement c'est du rapport que nous pouvons tous entretenir à nos propres racines. Qu'on soit fils de Sissi, de Louis ou de Léopold, on grince tous plus ou moins des dents face aux clichés culturels qui ne sont pas devenus des clichés pour rien et qui nous embarrassent autant qu'ils nous rendent fiers. Bien sûr, on n'est pas tous tout à fait égaux face aux traditions musicales et chorégraphiques ancestrales. En tant que Belge, notre héritage est à ce titre tellement mélangé qu'il en a perdu sa spécificité. Mais ici aussi peu importe. Nos racines sont celles de nos mélanges. Nous laisser le loisir de les questionner, de les haïr, de s'en amuser comme le font ces artistes, est sans doute la plus saine des attitudes contemporaines.



Cathy De Plée


EN

Four men strike up a polyphonic song a capella that immediately gives you goosebumps. We think of Corsican or Georgian male singers groups, as we are not specialists (and whatever, it’s just beautiful)… and even if we are meant to travel to Central Europa tonight, with the piece Sons of Sissy created in 2016 by Simon Mayer which, as the title seems to tell, seeks to put into perspective the artists’Austrian heritage.

But this heritage - or at least what we think we know about, we, international viewers - comes up quickly, in a much more obvious way as echo the first yodels and when, dressed with their music instruments (violins, accordion, double bass), the four fellows launch one of these solid folk tune, tapping their feet on the ground. No doubt that this warm and sincere music is a pleasure. At least to people from here and abroad for whom it reminds nothing much more than some green grasslands, felt hats, and big foamy beermug handed by pleasantly plump arms. And this simple pleasure of fresh air and exoticism, (I see also some pictures from the Sound of Music) is actually enough for a good early evening.

But we are watching a contemporary dance show. Let us not forget it! So it will probably turn bad. Moreover, we’re going to have to think. And indeed. The music instruments' strings get hauled over the coals. Our ears too. The rythm, first beated with enthousiasm, sounds now a bit too regular and self- assured. We see a military march, walking with arms outstretched. So. We feel immediately more concerned. The exoticism took the international colors of nationalism slides. But the gloomy evocation don't last. Humor whips the war’s pictures and the musician-dancers come back to their own culture’s exploration made of suffering and euphoria.

Unless it is the culture of all of us ? As the dancers are all totally naked now, similar to all human people once they take their clothing off. Admittedly they go on whacking their sides and buttocks and spinning and waltzing the way folk dancers do. But which folklore is it about? We spin and waltz everywhere in the world no? And that brings us back to our first questioning (this time free of guilt) : Corsican, Georgian or Austrian Polyphony ?

And again, no matter. As the main question of the show is probably the relationship we have with our own roots. No matter if we are Sons of Sissy, Louis or Leopold. We all gnash our teeth towards cultural clichés which are not clichés for no reason and which trouble us as much they make us proud. Of course we are not totally equal towards ancestral musical or choreographic traditions. In this respect, our heritage, as Belgian for example, is so mixed that ones specificity got lost. But here too, no matter. Our roots draw also from our mixings. Questioning, hating, making fun of them as these artists do is probably one the most healthy contemporary attitudes towards them.



Cathy De Plée