Les sculptures miniatures de Jean-Maurice Gillieaux


Depuis des années, Jean-Maurice Gillieaux guette, sonde, s’imprègne des mouvements de la danse. La danse au sens large: qu’elle soit classique, contemporaine, orientale, africaine ; sur scène, à l’écran, dans le studio, ou simplement dissimulée dans le secret d’un corps en mouvement.

La danse, cet artiste schaerbeekois, la connaît à force de fréquenter les danseurs et à force surtout d’essayer de la comprendre, sans la juger, simplement en la découvrant sans cesse, d’un œil amoureux, curieux et bienveillant.

Ses dernières créations, des petites sculptures de terre cuite ou de fils de fer exposées chez lui pour le parcours d’artiste de Schaerbeek, sont le fruit d’un travail de long cours qui est parvenu à se dépouiller de tout ce que la danse, et surtout l’art qui représente la danse, peut avoir d’académique, de convenu ou de sclérosé, pour aller à l’essentiel : la ligne. Indisciplinée, espiègle, fragile, souple, vivante.

Dans sa maison, les petites silhouettes discrètes grimpent, s’étirent, s’agrippent un peu partout entre livres, assiettes, murs et plafonds, créant la surprise comme autant de souvenirs ou d’apparitions dansées fugaces et légères. La danse est là, partout, indéniable, irrésistible, bruissante, évoluant en toute liberté et déjouant cadres et captures.




Mais au-delà des courbes gracieuses et mutines, propres à la danse, qui savent ne pas dédaigner le plaisir de l’oeil, c’est aussi à autre chose que ces sculptures miniatures sont aller puiser et qu’elles parviennent à communiquer. Ces silhouettes s’accrochant à la main courante de l’escalier, ou s’enroulant autour d’une prétendue barre fixe, expriment peut-être d’abord et avant tout le désir et l’effort d’un corps qui veut s’arracher à ce qui le retient – peu importe la nature de l’entrave – pour aller ailleurs, plus haut, plus loin. Et Jean-Maurice Gillieaux de glisser, en s’excusant presque d’aller chercher ailleurs que dans la danse proprement dite, que les images éprouvantes des migrants tentant d’échapper à leur sort ne sont pas loin.

C’est qu’il a probablement compris ce qui fait l’essence même de cet art du corps et du mouvement qui se tapit en réalité au fond de tout être humain et dont, en tant qu’artiste, il s’obstine depuis si longtemps à saisir les ressorts: l’élan insatiable, mû par une force souterraine et souveraine d’aller encore, toujours, envers et contre tout vers la vie. Elan et désir de vivre que ses petits personnages effilés et indociles 
restituent avec beaucoup de délicatesse. CDP



                                           

WAW, de Thierry Smits au Théâtre Varia


Le 1e juin 2018, Bruxelles

Et si les hommes parvenaient à mieux nous faire comprendre la féminité? Et s'ils parvenaient à mieux nous faire ressentir la féminité? Ou carrément plus fort: et si les hommes réussissaient à mieux représenter voire incarner la féminité? C'est le pari fou mais complètement réussi qu'a relevé Thierry Smits, dans WAW (we are woman).

Onze hommes en pleine possession de leur force et de leur beauté virile font leur entrée dans les vestiaires d'un match de foot. Incarnation stromboscopique d'une réalité sur-médiatisée qui associe mec, équipe, gestes gras, cris rauques et ballon, et montre en passant que les femmes ne sont pas les seules à être objectivées, ils vont progressivement opérer la métamorphose qui doit les mener de Mars à Vénus. Subrepticement, l'antre des Diables se transforme en douches de fitness où les tapes dans le dos se font doucement plus équivoques. Là où, dans un univers bien circonscrit et étiqueté, des hommes ensemble semblait être synonyme de virilité polarisée par un féminin absent et ailleurs, l'exclusivité masculine prend rapidement, dans un contexte à peine différent, des contours plus ambigus où émerge l('homo)sexualité et où s'amorce la transgression des genres. Les gestes francs et directs s'amollissent. Les lignes brisées se font courbes. Les maillots rouges sont troqués contre des petites culottes. Avec en filigrane, peut-être, une question, silencieuse: la polarité masculin-féminin est-elle incontournable? Le yang ne peut-il résister à l'absence de yin?

Passée cette première étape, formelle et somme toute superficielle de féminisation, la métamorphose opère ensuite sur d'autres terrains : psychologiques, physiologiques, sociologiques...
Par la panoplie infinie et ô combien puissante des moyens de la danse, une danse toujours extrêmement précise et ciselée chez Thierry Smith, ces onze hommes continuent leur appropriation sans limite de ce qui constitue les grands mythes du féminin, des plus clichés aux plus mystérieux. Les larmes, l'hystérie, la tendresse, la sexualité enfouie, le cycle, l'enfantement, le rite,
la sorcellerie,... tout ce qui a pu faire peur aux hommes et a valu aux femmes d'être brûlées, internées ou plus communément soumises, est ici finement analysé; assimilé; incarné; poussé dans ses plus intimes et extatiques retranchements au point même de faire disparaître la question des genres et de nous propulser dans un réseau de forces quasi cosmiques ou
métaphysiques. Passé un certain cap, ces hommes ne sont plus des hommes qui tentent de devenir femmes, mais l'incarnation démiurgique de la fusion des deux pôles.

Ce qui aurait pu n'être qu'une singerie est ici une véritable exploration, une tentative éblouissante et cependant non sans humour de comprendre en profondeur depuis un point de vue d'homme (mais on l'oublie presque), le féminin. Car si les poncifs des moules et des casseroles sont bien là, ils servent de support à un imaginaire bien plus complexe et fertile que les habituelles associations.

Ni idéalisation béate de la femme, ni ridiculisation gratuite, la pièce est peut-être moins une ode lucide et puissante au féminin qu'un plaidoyer esthétique et symbolique pour la réconciliation des genres.
A l'heure où les comportements masculins sont stigmatisés par des femmes toujours aux prises avec des revendications féministes, Thierry Smits fait une magnifique pirouette qui pousse loin la réflexion et invite à la tolérance.

Cathy De Plée